Au coeur des «Herbages» de Philippe Rainteau

Article paru dans Le Mag’2022 PFS

C’est indéniable, Philippe Rainteau a un certain savoir-faire pour présenter ses poneys « des Herbages » en concours d’élevage. Ses mâles Engel et Inédit des Herbages, notamment, devraient continuer de faire parler d’eux, comme l’avaient fait autrefois les étalons Glen et Karisto de l’Aumont confiés par Marc Bernardin.

« Je ne m’emballe pas, tout reste à faire et nous devons maintenant confirmer. Les succès sont encore modestes », signale Philippe Rainteau, basé depuis bientôt une trentaine d’années à Saint-Gilles, aux portes de Saint-Lô dans la Manche. Tout au long de son parcours, il aura en effet été à l’école de la patience. Étant jeune « et un peu fâché avec l’école », raconte-t-il, Philippe intègre le Lycée agricole de Saint-Hilaire-du-Harcouët (50) aux côtés de Florian Angot (appelé, lui, à devenir cavalier international). C’est décidé, il ne reviendra pas dans sa ville natale de Saintes. De bonnes maisons de cavaliers en grands élevages, il entre dans les plus grandes maisons normandes, chez les Levallois, Angot, Herpin, Leforestier, Leredde… et s’est forgé, à 50 ans, une expérience terrain peu commune. « Oui, mais à quel prix ? », souligne notre homme un peu usé par un engagement à 200%, mais toujours motivé pour avancer. Il conserve de ses jeunes années une sélection de bons souvenirs et une collection de moments rugueux. « Je reconnais que rien ne remplace les mains dans le cambouis, le concret, le passage éreintant par les débourrages », qui malmènent son physique, « les «gamelles», les poulinages jusqu’au bout de la nuit, les sensations avec les bons et les mauvais chevaux. C’était dur ! ». Mais Philippe et sa compagne Sabine Lucchesi savent désormais ce qu’ils veulent faire… « et surtout ne pas faire ». Voilà ce qui s’appelle des convictions. Quelles sont-elles ?

« On prend le temps »

Philippe et Sabine ont d’abord parfaitement intégré qu’un projet d’élevage est un système long. Philippe, qui a monté en concours, concède qu’il n’a pas les moyens de faire exploiter durablement en CSO et d’investir ensuite dans des saillies chères. Par bonheur Benjamin Devulder, voisin et cavalier Pro 1 expérimenté, accepte de valoriser en épreuves le bon Engel des Herbages (Machno Carwyn WD et Nitro des Herbages PFS par Island de l’Aumont PFS) qui a débuté à 7 ans l’an dernier les 1,20 m et Grand Prix Poney E Elite. Sabine assure le dressage sur le plat. Les femelles sont débourrées systématiquement, testées sur les barres et seules les meilleures sont conservées pour être saillies. Les autres sont vendues à bas prix si nécessaire. Philippe reconnaît au passage qu’il n’a jamais été très fort pour commercialiser sa production et avoue que ses qualités sont grandement perfectibles dans ce domaine ! Les gens de sentiment n’ont souvent que faire des dollars. C’est le cas de Philippe et Sabine qui entrevoient un idéal d’éleveurs « bien ailleurs ! ». Connaissez-vous encore des éleveurs qui peuvent dormir au pied du box quand ils sont en concours ? Quand il se rend à Lamotte-Beuvron pour le Sologn’Pony ou le testage des étalons, Philippe Rainteau est homme à quitter Saint-Gilles à trois heures du matin pour laisser le temps de récupération nécessaire à ses poneys avant les présentations.

Jadore des Herbages et Nepita des Herbages au Grand Match des dames 2023 à Saint-Lô. ©MarionLestelle/ONP
Sélectionner constamment

« Nous n’avons pas vocation à élever des juments ne correspondant pas à nos critères. Nous visons le long terme pour bâtir notre propre lignée partant de notre jument base Utopie de Coquerie, SF (1986, par Moon Mountain PS x Arthy SF), petite jument de 1,50 m dont le papier renvoie à ma première jument Odiane (Arthy x Sire PS) achetée chez les Levallois (célèbres éleveurs normands de Selle Français, propriétaires entre autres des étalons Le Tot et Diamant de Semilly, ndlr) ». Le sang et de l’énergie, dont témoignent ces origines où le Pur-sang est présent, auraient-ils leur importance ? C’est effectivement une constante chez Philippe Rainteau, qui garde toutefois un lien « souvent compliqué » avec l’univers des courses en hébergeant une dizaine de poulinières Pur-sang et ce malgré les nombreuses déconvenues avec des (grands) éleveurs et propriétaires « pas toujours réglos ». Sabine est par ailleurs très régulièrement active aux ventes Arqana de Deauville où elle participe onctuellement à l’accueil et l’installation des chevaux et en profite pour cultiver quelques contacts dans les cours des écuries. « C’est toujours intéressant de glaner des infos de-ci, de-là, sur ce qui se fait et sur les origines qui ont la cote ». Ils évoquent aussi l’étalon Pur-sang Persian Combat (Green Dancer), gagnant de courses de Groupe I qui leur avait été confié à son époque contre bons soins, ou encore l’actuelle Ispanoza PS (Kapgarde), qui prend 4 ans, très estimée par le célèbre entraîneur Guillaume Macaire et dont ils sont restés propriétaires à hauteur de 20%. « On croise les doigts ! ». 

Philippe et Sabine entretiennent ainsi une vision globale de l’élevage (comme Xavier Leredde, du célèbre Haras des Rouges, ancien cavalier international actuellement plus versé côté Pur-sang et chez qui Philippe a travaillé). Ils entretiennent leur réseau, mais conviennent en même temps qu’ils sont tellement bien chez eux et tant affairés sur leurs quarante hectares qu’ils sortent très peu, excepté à Lamotte-Beuvron ou aux concours d’élevage de Saint-Lô ! C’est là que quelques observateurs les titillent parfois pour savoir s’ils vendraient une bonne poulinière. Mais ils ne sont pas prêts à solder le sacrifice de toute une vie d’éleveur. L’affixe « des Herbages » n’est donc pas le plus promu, mais gagne progressivement en notoriété. Les connaisseurs ont bien remarqué que Philippe avait un certain savoir-faire pour présenter des poneys dignes d’intérêt et en bel état. Il a vu faire dans sa jeunesse. À l’élevage des Herbages, les poneys, les retraités des courses ou du sport et les convalescents ne manquent de rien. « S’ il nous arrive de nous priver, les chevaux, eux, sont bien nourris. C’est capital pour leur croissance. J’ai appris cela aux côtés de Micheline Levallois avec qui je nourrissais très généreusement les poulains ». En 2021, les herbages morcelés de Philippe Rainteau ont laissé apparaître une herbe généreuse grâce à un été suffisamment arrosé. Mais s’il a hébergé jusqu’à quatre-vingts chevaux ou poneys, il privilégie désormais la qualité plutôt que la quantité. 

Autre intransigeance, liée à la fois à des questions de moyens et de stratégie d’élevage. « Nous refusons le recours à des pères chevaux ». Une position singulière, peut-être à contre-courant de ce qui se fait actuellement mais pleinement assumée. « Nous œuvrons plutôt en faveur des qualités de rusticité et d’endurance des poneys. C’est peut-être ma culture club et mes souvenirs au Poney Club Les Allards (17) de Laurent de Menditte qui resurgissent ici. Les poneys s’endurcissaient avec le travail et étaient généreux. Nous restons aussi très vigilants sur la taille, c’est pourquoi nous avons acquis la petite PFS Jedi Soul d’Embets (PFS par Le Look Tilia WB x Very Star Kerveyer PFS) qui sera consacrée à la reproduction. Elle a un sacré coup de pattes ! »

Des références

Philippe Rainteau s’est d’abord fait remarquer en préparant les chevaux et les poneys des autres à une époque où des spécialistes du poney comme Véronique Margrin et Bérangère Mouroux étaient déjà installées autour de Saint-Lô. « L’activité poneys de sport n’était pas aussi florissante qu’aujourd’hui », explique Philippe qui s’est alors fait progressivement une place, et entrera plus tard dans le bureau de l’association Organisation Normandie Poneys (O.N.P.). Il ne triait pas ses clients et ses pensionnaires et ne faisait pas non plus la fine bouche. En avait-il les moyens ? « Je prenais un peu tout ce qui se présentait. Je dépannais les éleveurs et les gosses en galère avec leurs chevaux ou poneys ». On le dit alors courageux, un peu casse-cou et on reconnaît son feeling pour amadouer les plus retors. Il débourrera de bons chevaux tels l’étalon SF Hooligan de Rosyl, par la suite grand performer international, ou Lys Platière, bon gagnant en Grand Prix, et emmènera l’étalon Hulan du Vasset NF (1995, par Silverlea Redlink), IPO 127/00, jusqu’au titre de Champion des 4 ans. Il a aussi eu sous sa selle Grace Pondi Co (1994, par Cyrano Pondi), IPO 151/07, et Espoir de la Bigne PFS (1992, par Toleran des Etangs), IPO 168/03. 

Jean-Claude Leterrier, organisateur du Grand National de dressage à Saint-Lô, donnera un coup de mains à Philippe pour peaufiner le dressage. Lors de la vente du SF Danseur de Caverie, le grand cavalier français Hervé Godignon dira qu’il n’avait jamais essayé « un cheval normand aussi bien dressé ». Une flatterie gratuite qui ne rémunèrera pas pour autant le travail accompli par Philippe ! Mais « quand on vend un cheval ou un bon poney et que tout s’enchaîne parfaitement ensuite, ça peut nous suffire ».

Glen et Karisto de l’Aumont ont compté

À une époque où le Sologn’Pony de Lamotte-Beuvron n’existait pas encore, Philippe Rainteau s’était déjà signalé comme bon préparateur de poneys de sport. À 3 et 4 ans, il dévoile les qualités de Glen de l’Aumont NF (1994, par Willoway Good As Gold et Silverlea Martine par Silverlea Flash Harry), qui deviendra bon performer (IPO 153/01) et étalon reconnu, à l’origine d’un total de 215 produits enregistrés au SIRE, dont 44 indicés en compétitions poneys à plus de 120, tel l’étalon Atoll de Civry, NF, IPO 167/20. Marie Mabille classera Glen de l’Aumont régulièrement, qui sera vice-champion des 5 ans dressage, 3e du Critérium de France D2 Ponam en 2005, très bon gagnant en D1 Ponam et D1 Ponam Elite, plusieurs fois champion départemental et régional, classé en Grand prix Ponam (notamment 2e à Saint-Lô en 2003 et 6e en 2002), avec plusieurs participations aux championnats de France D1 Ponam et D1 Ponam Elite, dont une participation à la finale en D1 ponam Elite. 

Le demi-frère utérin de Glen, Karisto de L’Aumont, PFS (1998, par Shining Starr Aristo), connaîtra aussi un succès fulgurant dès ses débuts avec Philippe, qui l’a préparé chez lui de 2 à 6 ans. Champion de France des mâles à 2 et 3 ans lors du National PFS, Champion des 4 ans puis des 5 ans (Cat. D), il fera ensuite une honorable carrière sportive saluée par un IPO 149/03. Étalon lui aussi, il laisse 156 produits, dont Quétisse de Lairaud, PFS, IPO 160/11.

Local de Saint-Lô, le 11 juin 2022. ©MarionLestelle/ONP
Engel des Herbages et Inédit des Herbages incarnent l’avenir

Au début des années 2000 également, l’étalon Island de L’Aumont, PFS (1996, par Pompéï, PFS) a été croisé à leur jument de cœur, Utopie de Coquerie, dont nous avons parlé plus haut, pour donner leur jument phare Nitro des Herbages, née en 2001. Celle-ci deviendra la mère d’Engel des Herbages et la grand-mère d’Inédit des Herbages. C’est probablement autour de cette Nitro que pourraient se jouer les années à venir. 

Engel des Herbages, PFS (Machno Carwyn, WD) a gagné le local de Saint-Lô à 2 ans en 2016, puis fut troisième au Normandie Horse Show avant de finir 5e du National PFS à 3 ans. À 6 ans, il est sans faute dans la première manche du Criterium des 6 ans D au Sologn’Pony, et depuis l’an dernier, âgé de 7 ans, il a attaqué les GP Elite en poneys E dans lesquels il compte pouvoir montrer sa corpulence et ses moyens. 

La conception d’Inédit des Herbages, PFS (Rembrandt, DRPON, et une fille de Nitro des Herbages), vice-champion des 2 ans mâles au National PFS en 2020 avec 16,80 au modèle et 4e des 3 ans cette année avec une moyenne générale de 16,11, procède d’une démarche plus originale. Rembrandt (Renoir, DRPON) est en effet très peu utilisé en France avec pour l’heure seulement trois poulains, tous estampillés « des Herbages », bien qu’il semble pourtant avoir quelques références aux Pays-Bas et en Angleterre. Rembrandt avait su attirer l’œil de Philippe et Sabine qui se sont laissés tenter en acquérant un stock de paillettes à l’étranger. Ils pourraient bien le conserver, convaincus qu’ils sont par ses allures et son look ravageur. Par ailleurs, Baccara des Herbages, mère d’Inédit des Herbages, fait exception à la réticence qu’exprime Philippe Rainteau plus haut concernant l’utilisation de pères chevaux : elle est en effet fille de Sir Shutterfly, Hanovrien propre-frère du hongre Shutterfly, l’exceptionnel gagnant international en CSO de l’Allemande Meredith Michael-Beerbaum. Baccara des Herbages est une sœur utérine d’Engel des Herbages, de Teakila des Herbages (GP As Poney 2D, IPO 123/14), d’Uyoupi Desherbages (As Poney 1, IPO 132/18) et d’Hermione des Herbages (3e des femelles de 2 ans du local de Saint-Lô). Enfin, Baccara est elle-même gagnante du local du Pin et vice-championne de France des poulinières suitées PFS en 2018. 

Les espoirs se concentrent également sur la jeune 3 ans Jadore des Herbages, propre-sœur d’Inédit. Elle sera saillie en 2022.

Se diversifier

Sabine suit une formation de chef de centre pour inséminer les juments qui vont venir à l’élevage des Herbages. Philippe va poursuivre ses réflexions pour travailler des croisements originaux qui ne suivent pas nécessairement la mode. Il veut d’abord ancrer durablement les qualités de ses ponettes en les croisant avec des pères pour lesquels ils ont eu un véritable coup de cœur, à l’instar de Sir Shutterfly et Rembrandt. Un autre défi l’attend : mieux faire savoir son savoir-faire. On veut croire que c’est en bonne voie…

Éric Fournier

Une activité diverse et fluctuante

On compte une cinquantaine de têtes sur l’exploitation. « Le nombre peut varier au gré des saisons », indique Philippe Rainteau, qui fait naître pour son compte entre trois et cinq poneys par an. Les poulinières Pur-sang en « pension retraite » ou « pension élevage » sont majoritaires, autour de trente, et Philippe n’utilise actuellement qu’une seule de ses trois poulinières courses, une Kapgarde qui sera saillie en 2022. « Il y a bien aussi deux ou trois poulinières Selle Français, suitées ou non, appartenant à des propriétaires des alentours », précise encore Philippe Rainteau, qui poursuit par ailleurs l’activité débourrage (environ 30 par an) dont il s’est fait une spécialité.

Sabine Lucchesi, la compagne de Philippe Rainteau, au local de Saint-Lô, le 12 juin 2022. ©MarionLestelle/ONP